Timothée n'est pas complaisant. Les autoportraits décalés, décadrés, pas frais, matinaux, nocturnes, noctambules, ancrent dans une temporalité, mise en base, les données de sa vie. Ses trajets, ses amis, le métro, la bouffe, l'argent, les « pots » - les « pots » tout dépend de l'accent que l'on donne au mot clé qui permettra d'indexer le moment imagé. Tous ces temps morts sont visibles. Le quotidien dessine l'empreinte d'une mémoire fixe décomposée en pixels. « ne pas faire de jolies photos ». L'esthétique de ces images est niée ou, si elle existe, elle se définie dans sa négation. « Prendre en photo tout acte d'écriture manuscrite ». Voilà le mot qui s'écrit aussi sur l'écran numérique grâce auquel il mesure « les interactions » avec tout être vivant et tout objet.
L'exposition de cette « mémoire active », comme l'a définit Rolin, n'est pas une sociologie de la vie de Timothée, mais peut-être le résumé impressionniste de l'appréhension qui l'aide à la tempérer. Les images fixes montées en une vidéo de cinquante minutes ont le rythme effréné et le souffle du temps qui passe. Certaines images arrivent à la mémoire avec un temps de retard, mais elles sont déjà loin, passées, perdues, évacuées. À peine saisies, seule leur empreinte est encore perceptible. Il y a aussi de l'humour, de la dérision, dans cette mise en perspective. Des détournements, des images télévisuelles qui reprennent ainsi leur flot. Peut-être une certaine perversion, par la mise en réseau de sa mémoire qui intègre ainsi celle des spectateurs. Chacun repartira avec l'impression d'un flux mais aussi les fragments parcellaires qui auront fait écho à des impressions qui leurs sont propres. Cette interactivité du travail de Timothée Rolin devient alors déroutante.
D'autant plus déroutante que certaines de ses images sont là accrochées sur le mur à côté de l'installation vidéo. Celles-ci sont fixes, plates, et pourtant elles définissent un nouvel itinéraire, une nouvelle appréhension...
D'autant plus déroutantes que certaines de ces images sont aussi visibles sur le site qu'il a conçu. « La coiffeuse » est pour lui la journée la plus aboutie. Les images et les textes, sommaires, qui les accompagnent décrivent pas à pas les moments anodins de ce jour quelconque où il est allé chez le coiffeur. C'est un matin où il ne se bouscule pas particulièrement. « [Il s]'informe. », « Le café est prêt », « Vaisselle terminée », « [Il] serpille », c'est l' « asticage de tous les dangers » dans son appartement, avant qu'il ne file chez la coiffeuse, passe se prendre un sandwich à la boulangerie et que deux de ses amis passent chez lui. [...] la journée s'enfile, image après image... Il en reste encore à découvrir... Il ne s'abstrait pas ce qu'il vit pour le photographier même s'il concède volontiers que cela est devenu constitutif de son identité. Timothée, Rolin ne font qu'un.
Réalisé pour la Copyleft Démo, organisée par Antoine Moreau en janvier 2002, ADaM Project, regroupe les journées de Timothée tout en étant un espace ouvert à la contribution d'autres « histoires parallèles ». Chacun s'ébauche en images. Quarante-trois identités et itinéraires s'affichent ainsi sur AdaM Project, Sara Prince raconte que « C'était mieux hier », à moins que « C'était mieux demain » ? Olivier Seniult veut « ranger la campagne » sans que cela ne perturbe Agnès Beaumale dans « [sa] contemplation ». « C'est donc çà nos vies... » s'interroge Olivier Riquet alors que Car[r]oline de la Chambre des demoiselles, « De nouveau petite », se raconte elle aussi...
La vidéo, les tirages papier, le site, AdaM Project se décline sur de multiples supports. Et pourtant seule la journée intitulée « la coiffeuse » est polymorphe, visible sur les trois supports à la fois. Serait-ce la porte d'entrée, le « centre névralgique », de ce réseau atomisé, imagé, qui recompose la mémoire éclatée, photo-sensible, d'un Timothée quelque peu Rolin ?
Timothée Rolin, « Six mois, création ». [Du 25 octobre au 16 novembre 2002] 1, rue Paul Bert - Saint-Ouen [m° Porte de Clignancourt ou Garibaldi]
L'exposition à « Mains d'œuvres » organisée dans le cadre du Festival Transimages regroupe outre le travail de Timothée Rolin, les œuvres d'Edouard Boyer (Missing, création), Pierre-Jean Giloux (Lebe Wohl, création), Karin Hansson & Asa Andersson (TED, 1998), Eric Maillet (Geometrical abstraction, 2002),Orlan (Self-hybridation, 2001) et Brigitte Zieger (Orna-mental, 2002).